III - L'extinction de La Rose Blanche
Les tracts
rédigés par La Rose Blanche sont adressés, anonymement,
à des médecins, des juges, des enseignants, des fonctionnaires ainsi qu'à
beaucoup d'autres intellectuels dont les noms étaient choisis dans l'annuaire
téléphonique. Mais les tracts sont aussi répandus dans les couloirs de l'université
de Munich.
Peu à peu, les ramifications du groupe vont s'étendre dans
tout le sud du pays, comme à Hambourg, Fribourg, Stuttgart, Sarrebruck,
Francfort, mais aussi jusqu'à Berlin et Vienne. En janvier 1943, les tracts
sont imprimés et diffusés à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires.
Mais, hormis le lien si fort qui les unit, les membres de La Rose Blanche
vivent avec un sentiment de solitude extrême. Au fur et à mesure que leur
réseau s'étend, l'angoisse d'une dénonciation augmente tant, dans ce climat
totalitaire, qu'il est difficile de faire confiance à quiconque. Ils partent,
à tour de rôle, livrer leurs tracts dans les grandes villes allemandes,
avec l'estomac noué et l'impression de prendre un billet sans retour. Même
en envoyant les tracts par la poste ils courent un risque, car le fait
d'acheter des centaines voire des milliers de timbres semble très suspect..
Chaque distribution réussie est une victoire sur leur propre peur et même
une victoire tout court car ils ont fait ce qui devait être.
Le 3 février 1943, la population de Munich apprend la capitulation
de l'armée allemande à Stalingrad. La nuit même, les compagnons de La Rose
Blanche graffitent sur les murs de la ville "A bas Hitler"
et "Liberté".
Le petit groupe collecte en même temps du pain pour les détenus de camps
de concentrations et s'occupe de leurs familles. Il est toutefois déçu par
le peu d'écho de ses initiatives au sein de la population étudiante.
18 février 1943, il est huit heures du matin. Dans les
couloirs encore sombres de l'université de Munich, deux ombres passent.
L'une d'elle porte une valise. "Les amphithéâtres allaient s'ouvrir,
écrit
Inge Scholl. Ils dispersent les tracts dans les couloirs et vident le reste
de leur chargement du haut de l'étage supérieur, dans le hall d'entrée de
l'université. Ils veulent partir. Deux yeux les ont aperçus. Deux yeux impersonnels.
Deux pupilles au service de la dictature : le concierge. Il fait immédiatement
fermer toutes les issues. Hans et Sophie sont pris." L'homme n'est
pas là
par hasard : la Gestapo connaît, semble-t-il, leur emploi du temps. On ne
sut jamais par qui et comment.
Quelques heures après, Christoph Probst est arrêté à son
tour, tandis que sa jeune femme est en train de mettre au monde leur troisième
enfant. Le frère et la soeur vont être interrogés jour et nuit pendant quatre-vingt
seize heures. Ils répondent calmement aux questions, tentant seulement,
chacun de leur côté, sans pourtant s'être concertés auparavant, de prendre
tous les "crimes" sur eux. Car, il n'y a plus qu'une chose importante
à
leurs yeux : sauver les autres.
Le 22 février,
Hans, Sophie et Christoph sont conduits,
en début d'après-midi, au Palais de Justice où les attend le sinistre Freisler,
président du Tribunal du Peuple.... Aux hurlements furibonds de ce dernier,
les jeunes accusés affichent jusqu'au bout un courage héroïque et une sérénité
déconcertante. Il y a en eux ce sentiment profond de ne jamais s'être trahis
eux-mêmes, d'avoir accordé leurs actes à la pensée et de ne l'avoir fait
non pas pour eux mais aussi pour tous les autres : "Ce que nous avons
écrit,
dit Sophie, beaucoup le pensent mais peu osent l'exprimer. Il fallait
bien
que quelqu'un commence...." Monsieur et Madame Scholl sont dans la
salle.
Ils écoutent cette jeune fille de vingt-deux ans, leur fille, effacer en
quelques mots tant de silence et de honte. Ils sont à la fois les parents
les plus malheureux et les plus heureux du monde. Quand ils pourront, après
l'énoncé de la sentence, voir quelques minutes leurs deux enfants, ils ne
feront que leur redire leur tendresse, leur douleur et leur fierté.
Après des débats houleux et expéditifs, Christoph Probst,
Hans et Sophie sont reconnus coupables de haute trahison, et condamnés à
mort. A cet instant, dans la cour du Palais-Prison, le bourreau s'affaire
déjà. A cinq heures, soit trois heures après l'énoncé du verdict, ils sont
exécutés, tous les trois. Le soleil est aveuglant, il fait froid et très
beau sur Munich. Sophie Scholl, son frère Hans et leur ami Christoph vont
mourir, à vingt ans.
Quelques
mois plus tard, en juillet, Kurt Huber, Alexander
Schmorell et Willi Graf sont à leur tour arrêtés, condamnés et aussitôt
exécutés. Les "terroristes" de La Rose Blanche, comme ils
étaient qualifiés
par la Justice allemande, sont tous morts pour ce qui comptait plus que
leur vie : la liberté et la conscience humaine. Ils n'avaient aucune ambition
personnelle et n'obéissaient à aucune idéologie. Juste avant de mourir,
les trois premiers condamnés avaient eu le temps, pour la toute dernière
fois, de se parler.
Christoph a dit à ses amis : "Je ne savais pas qu'il était
si facile de mourir. A tout à l'heure, dans quelques minutes pour l'éternité....",
et il avait également hurlé, avant que le bourreau ne fasse son devoir :
"Vive la liberté!", comme si, ne songeant pas à la fin qui
l'attendait,
il voulait continuer à lutter contre les despotes nazis.